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Le style Mucha
La figure féminine constitue l'élément central de ses créations. Femmes fatales, dans le goût du
symbolisme, ou « belles plantes » naturalistes, il les pare de bijoux et de vêtements chamarrés ou les vêt
d'un simple voile pour incarner les saisons ou les fleurs. Loin des « chérettes » sociables et effrontées, ses
créatures paraissent distantes, hiératiques, incarnant un lointain idéal – effet accentué par le cerne épais qui
les isole. Il photographie préalablement ses modèles et, malgré l'extrême épure du dessin qui résulte de la
transposition de la photo, ses portraits possèdent une étonnante authenticité, contrastant avec l'aspect
fabuleux du décor.
Quelques formes simples structurent ses compositions : cercle ou demi-cercle, notamment, qui entourent
les visages et fixent l'attention sur le haut de l'image où sont placés les textes et les détails symboliques.
L'ornement végétal, caractéristique de l'Art nouveau, est largement évoqué, mais Mucha puise également
dans l'imagerie du folklore slave, ainsi que dans un curieux répertoire de signes ésotériques. Ses affiches
détonnent par leur raffinement ainsi que par leur étonnant chromatisme. Il privilégie les demi-tons,
enrichissant ses compositions par des encrages d'or ou d'argent qui leur donnent une préciosité inégalée.
Dès 1896, il est invité à participer à la vingtième édition du Salon des cent, manifestation la plus
prestigieuse concernant l'estampe et l'affiche. Cette consécration ouvre la voie à de nombreuses expositions,
dont celle du cirque de Reims, première présentation collective d'affichistes en France, en 1896, puis à une
exposition personnelle à la galerie La Bodinière, en février 1897. En juin de la même année, Léon
Deschamps, directeur du magazine La Plume et fondateur du Salon des cent, organise une grande
rétrospective de ses travaux comprenant pastels, aquarelles, projets de vitraux et 52 affiches depuis les
esquisses jusqu'aux divers états. L'exposition se déplace ensuite à Prague, Munich, Bruxelles, Londres et
New York.
Un créateur pluridisciplinaire
À l'instar des autres grands créateurs de l'Art nouveau, Mucha entend intervenir dans tous les champs
des arts décoratifs. Une première opportunité lui est offerte par le joaillier Georges Fouquet, qui lui
commande un ensemble de créations originales pour l'exposition universelle de 1900, puis lui confie la
conception de son nouveau magasin rue Royale. Il obtient par ailleurs une médaille d'argent à l'Exposition
universelle pour la décoration du pavillon de la Bosnie-Herzégovine.
En 1899, il illustre une luxueuse édition du Pater et publie avec George Auriol et M. P. Verneuil, les
Combinaisons ornementales proposant notamment des modèles de vignettes et de fleurons pour les
imprimés. En 1902, il fait paraître ses Documents décoratifs, suite de planches couvrant l'ensemble de sa
création : affiches et estampes, papiers peints, frises, vitraux, orfèvrerie, luminaires, mobilier, en passant par
ses recherches typographiques ; une présentation complétée par la publication de ses Figures décoratives,
en 1905. Ce dernier recueil marque la fin de l'Art nouveau, dont la plupart des jeunes créateurs rejettent
désormais la surcharge ornementale, même s'ils cherchent à en développer l'esprit de synthèse des arts,
reconnaissant en Mucha un maître en la matière.
À partir de 1902, Mucha multiplie les voyages. Aux États-Unis, où il réalise plusieurs affiches, il rencontre
le mécène américain Charles Richard Carter qui accepte de financer un projet de peintures monumentales.
Intitulé L'Épopée slave, ce cycle va occuper la dernière partie de l'existence de Mucha. En 1912, sont
présentées à Prague les premières toiles de l'oeuvre qui fait l'objet d'une exposition complète en 1928 (cycle
aujourd'hui conservé au château de Moravsky Krumlov, en République tchèque).
En 1918, il est également appelé à concevoir les nouveaux timbres-poste, les billets de banque et divers
documents officiels de la République tchécoslovaque créée au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Installé à Prague en 1924, il décore le Théâtre national, l'Hôtel de ville et d'autres bâtiments. Son style,
désormais plus académique, n'a rien perdu de ses qualités de composition et de sa puissance. En 1936, en
compagnie de son compatriote Kupka, il fait l'objet d'une rétrospective au musée du Jeu de Paume à Paris.
Entrés dans Prague en mars 1939, les nazis le placent en état d'arrestation et lui font subir un long
interrogatoire ; il meurt le 14 juillet suivant.
À l'instar de l'Art nouveau en général, l'oeuvre de Mucha a été durablement dépréciée. Pendant
l'entre-deux-guerres, elle fut synonyme d'une période révolue et d'une vision de la femme rétrograde,
comme a pu l'écrire Paul Morand : « Mucha et ses pâles jeunes filles qui mâchent des iris ». Dans les années
1960, un regain d'intérêt se fait jour, dont les affiches psychédéliques et le graphisme japonais sont
paradoxalement les faire-valoir. On redécouvre Mucha et ses arabesques, ses décors somptueux et le
mystère de ses personnages féminins. Sa peinture de genre n'a pas bénéficié de la même postérité, bien
qu'elle reste appréciée dans son pays d'origine pour sa valeur historique.
Michel WLASSIKOFF
Bibliographie
• A. BRIDGES, Alphonse Mucha, l'oeuvre graphique complète, Academy Éditions, Paris-Londres, 1980
• D. CARSON (trad.), Mucha, Flammarion, Paris, 1976
• A. ELLRIDGE, Mucha, le triomphe du Modern Style, éd. Terrail, Paris, 1992
• J. MUCHA, Alphonse Marie Mucha : his life and art, Academy Éditions, Londres, 1989
• B. READE, Art nouveau and Alphonse Mucha, Victoria & Albert Museum, Londres, 1963
• J. RENNERT & A. WEILL, Alphonse Mucha : toutes les affiches et panneaux, H. Veyrier, Paris, 1984
• R. ULMER, Alfons Mucha, Taschen, Cologne, 1994.
Un art destiné au peuple
Alfons Mucha naît le 24 juillet 1860 à Ivancice, en Moravie, dans l'Empire austro-hongrois. Après des
études à Brno, où sa passion du dessin s'affirme, il travaille dans une entreprise de décoration à Vienne,
acquérant une excellente maîtrise de la gouache et se familiarisant avec l'univers du théâtre.
En 1881, le comte Khuen-Bellassi lui commande des fresques pour sa demeure, puis finance la poursuite de ses études,
d'abord à l'académie des Beaux-Arts de Munich, puis à Paris à partir de 1888, à l'académie Julian et à
l'académie Colarossi. L'aide de son mécène s'achevant en 1889, Mucha doit trouver des commandes et
réalise alors ses premières illustrations pour des périodiques et des calendriers publicitaires.
À la fin de 1894, l'imprimeur Lemercier lui confie la réalisation d'une affiche pour une pièce de Victorien Sardou, Gismonda, dont Sarah Bernhardt est la vedette au théâtre de la Renaissance. Dans un format oblong inhabituel, l'affiche fait sensation : la célèbre tragédienne est représentée en pied, grandeur nature, au centre d'une composition extrêmement fouillée et ornementée s'apparentant à une mosaïque. « Au charivari des couleurs » du peintre et lithographe Jules Chéret, Mucha oppose, avec Gismonda, « l'affiche claire et
blanche comme un lis », selon le critique Charles Saunier. Elle ouvre une longue période de collaboration
avec l'actrice, surnommée La Divine, pour laquelle il réalise La Dame aux camélias (1895), Lorenzaccio (1896), La Samaritaine (1897), Médée (1898), La Tosca (1898), Hamlet (1899), ainsi que des costumes et des
bijoux de scène.
Outre les affiches de théâtre, Mucha, désormais sous contrat avec l'imprimerie Champenois, s'attelle à de nombreuses commandes pour des produits de consommation courante : biscuits Lefèvre-Utile, papier à
cigarettes Job (à partir de 1896), bières La Meuse (1897), ainsi qu'à des réclames pour les cycles Perfecta (1897), la liqueur Bénédictine (1898) ou les champagnes Moët et Chandon (1899). Champenois excelle dans
la technique de la chromolithographie et décline sans les trahir ses créations sur tous les supports possibles :
calendriers, menus, programmes, cartes postales, emballages, éventails, etc.
Par ailleurs, l'imprimeur est
spécialisé dans la production d'estampes décoratives qui connaissent un succès grandissant à la Belle Époque. Mucha en réalise plusieurs séries sur des thèmes tels que « Les saisons », « Zodiaque », « Les arts », « Les pierres précieuses », « Les moments du jour », qui lui permettent de développer tous les motifs
de l'Art nouveau. Ces estampes seront ensuite reprises sous forme de calendriers ou de cartes postales.
Dans la lignée du mouvement Arts and Crafts, Mucha revendique ces travaux publicitaires et ces visuels
décoratifs comme un moyen de diffusion du « Beau » auprès du plus grand nombre ; « j'étais heureux de m'être engagé dans un art destiné au peuple et non à des salons fermés », écrira-t-il dans ses Mémoires.